L’espace Inouï. Notes sur l’intime, le sacré et la pudeur

C. Canullo
2022-01-01

2022
Le cercle herméneutique
« In interiore homine » : Kant et saint Augustin Le passage qui clôt la "Critique de la raison pratique" de Kant est bien connu : « Deux choses remplissent l’esprit d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure de la fréquence et de la persévérance avec laquelle la réflexion s’y attache : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi » . Tandis que le ciel commence « à la place que j’occupe dans le monde sensible extérieur » , la loi morale « commence à mon moi invisible, à ma personnalité, et me représente dans un monde ayant une infinité véritable, mais que seul l’entendement peut saisir, et avec lequel (mais en même temps aussi, par là, avec tous ces mondes visibles) je me reconnais lié par une connexion, non pas simplement contingente comme dans la première, mais universelle et nécessaire » . La topique exprimée par ce passage est claire : le ciel, ou le monde physique, est « au-dessus » et donc « dehors », par opposition à la loi morale qui est « dedans » et donc « invisible » et « impénétrable à l’observation externe » ; autrement dit, « intime ». L’intime, cependant, ne désigne pas que ce qui est « dedans » : c’est ce qui est placé dans les profondeurs et que le latin exprime par la forme du superlatif de la proposition intra/dans. Chez Kant, ce superlatif est conçu selon le mode locatif du « dedans » par opposition au « dehors ». Mais ce n’est pas la seule façon de le comprendre. Avant Kant, Augustin proposait de revenir à soi-même en invitant « Noli foras ire, in te ipsum redi, in interiore homine habitat veritas » . « In interiore » (interior), que nous traduirions par « intériorité », n’est cependant pas intimus, mais le comparatif du même adverbe intra. Et dans un autre passage très commenté, Augustin écrit : « Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo » , un passage dans lequel la topique kantienne est renversée. Elle est renversée car le comparatif (interior) surpasse le superlatif (intimus). La conséquence de ce renversement est que le comparatif perd son terme de comparaison et se dissout lui-même de la comparaison - ab-solutus. C’est ce qu’exprime le passage « mais tu étais plus intérieur (à moi) que le plus intime en moi, et plus élevé (superior) que le plus élevé en moi ». C’est Marion qui l’a compris dans son commentaire sur ce passage d’Augustin, lorsqu’il écrit que ces lignes marquent un paradoxe, à savoir « le paradoxe qui se marque d’abord par des comparatifs qui surpassent les superlatifs » . Par conséquent, Dieu, auquel Augustin fait référence dans ce passage, est en moi plus intérieur (comparatif de intra) que le superlatif « intime » en moi, et donc, commente Marion, interior « indique un lieu que je ne retrouve ni hors de moi ni en moi, parce qu’il me trouve dans un soi ne m’appartenant pas, mais auquel j’appartiens et où je dois finir de parvenir» . L’« autre » est plus intérieur à moi-même que mon intime, et le superlatif est tel car l’« autre » le rend justement superlatif, faisant de lui ce qu’il est. Il en va de même pour le comparatif et le superlatif qui sont construits avec la préposition supra, et donc superior (comparatif) et summus (superlatif). Mais là encore, superior et summum ne sont pas ce qui est « hors » de l’homme, mais l’expression de ce qui, en tant que interior, constitue l’intime. C’est dans ce superlatif gisant dans le comparatif que se produit alors le renversement de la topique kantienne qui oppose la loi en moi et le ciel étoilé au-dessus de moi. Cette topique est renversée parce que ce qui est superior est donné dans l’intime qui, de cette façon, se révèle et se produit en dépassant toute opposition dedans/dehors. Et puisqu’il se manifeste dépassant toute autre topique, il se produit et se révèle comme un espace nouveau et inouï dépassant ainsi l’opposition dedans/dehors. Dans le cas de Kant, toutefois, cette topique était tracée autour de deux éléments annoncés par le philosophe de Königsberg, à savoir la loi morale et le monde naturel. Par contre, dans le renversement augustinien, du moins en apparence, rien n’intervient pour tracer cette topique autre et inouïe. En effet, ce renversement montre que l’inversion de la topique ne se produit pas pour des éléments déjà définis à la manière des « ta onta » (le ciel, la loi morale), mais qu’elle se donne pour l’inouï (Dieu), qui se révèle générant ainsi un espace également inouï. Or, si l’on quitte Augustin, rien n’interdit de concevoir cet « inouï », ou peut-être est-il plus approprié de dire ce noyau autour duquel se dessine l’intime, comme le sacré. Par cela, le sacré serait superior non pas parce qu’il est « hors » (de moi), mais parce qu’il est capturé dans l’intime et comme une qualité de l’intime lui-même ; voire qui est gardé dans l’intime. Mais il ne s’agit là que d’une déclaration à confirmer car, au contraire, le sacré est pour l’essentiel compris comme le numineux et le tout autre – ce qui reviendrait à répéter la topique dedans/dehors dépassée avec Augustin.
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Utilizza questo identificativo per citare o creare un link a questo documento: https://hdl.handle.net/11393/306970
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