Cet essai propose une interprétation du mouvement phénoménologique français, auquel la communauté scientifique internationale, depuis quelques années, a consacré une grande attention; un mouvement qui semble avoir mis en acte un renversement de la phénoménologie historique de Husserl et de Heidegger. La possibilité d’une contre-intentionnalité, le déplacement du sujet du nominatif à l’accusatif, l’hypothèse que la subjectivité soit constituée et non constituante : voici quelques motifs originaux présentés par la phénoménologie française contemporaine d’après lesquels on a interrogé l’élargissement de la phénoménalité au-delà des horizons déjà pensés pour saisir sa donation. Il reste à vérifier si ce renversement est déjà préfiguré dans l’œuvre d’Emmanuel Levinas, non tant en terme de renversement de la phénoménologie, mais en tant que renversement de la philosophie elle-même, de son attitude grecque, moderne ou phénoménologique. Un renversement que l’on propose de concevoir en deux sens, suivant les mots allemands qui en expriment la signification. En tant que Umkehrung, mot qui indique, tout comme le verbe umkehren, le fait de renverser et bouleverser mais aussi d’invertir. Il s’agit d’un renversement que l’on peut nommer thématique, dans la mesure où il est une inversion de l’ordre des termes du raisonnement pour formuler des questions déjà posées, tout en les renouvelant. Cependant, le renversement peut être conçu aussi comme Umschlag, mot qui fait allusion, comme dans l’enveloppe, à un accomplissement qui est un envelopper et protéger, mais aussi un « se renverser » (tout comme l’enveloppe a à se renverser pour accueillir et protéger son contenu). Dans la figure de l’Umschlag les deux sens du mot allemand se rejoignent, indiquant aussi bien le renversement que l’enveloppe, l’étui. Un renversement qui, certes, est thématique, mais aussi philosophique, par lequel – grâce à l’inversion thématique – on cherche à atteindre un envers jusqu’à ce moment invu, un en-soi que la philosophie, par ses catégories et ses horizons, n’avait pas encore aperçu. Dès lors, il y a un renversement de la philosophie en tant qu’« avènement » de celle-ci par le questionnement de ses sujets et problèmes et de ses propres questions. Il faut encore comprendre le renversement en tant que « garde » de questions qui, par leur même questionnement et par le fait même de se questionner, demeurent toujours et à nouveau possibles, donc livrées et, en même temps, gardées et protégées. Dans les Inédits d’Emmanuel Levinas, dans la genèse de cette pensée, il sera possible de vérifier ces deux sens du renversement, en cherchant à apercevoir ce qu’il en est du renversement thématique (et du point de vue philosophique différent qu’il inaugure), donc du renversement ou inversion de la méthode philosophique, et ce qu’il en est de l’envers atteint par cette inversion (et donc « vers où » perce ce renversement de la philosophie). Envers en tant qu’en-soi invu et insaisissable autrement que par le renversement – thématique et philosophique dans le sens plus strict du terme – que lui-même provoque. Il ne s’agit donc pas d’un envers qui serait un en-soi atteint et saisi, mais d’un envers qui se donne à atteindre et à saisir par une réversibilité intrinsèque qu’il reste à définir.

Penser à l’envers: la genèse du renversement de la philosophie chez Emmanuel Levinas

CANULLO, Carla
2012-01-01

Abstract

Cet essai propose une interprétation du mouvement phénoménologique français, auquel la communauté scientifique internationale, depuis quelques années, a consacré une grande attention; un mouvement qui semble avoir mis en acte un renversement de la phénoménologie historique de Husserl et de Heidegger. La possibilité d’une contre-intentionnalité, le déplacement du sujet du nominatif à l’accusatif, l’hypothèse que la subjectivité soit constituée et non constituante : voici quelques motifs originaux présentés par la phénoménologie française contemporaine d’après lesquels on a interrogé l’élargissement de la phénoménalité au-delà des horizons déjà pensés pour saisir sa donation. Il reste à vérifier si ce renversement est déjà préfiguré dans l’œuvre d’Emmanuel Levinas, non tant en terme de renversement de la phénoménologie, mais en tant que renversement de la philosophie elle-même, de son attitude grecque, moderne ou phénoménologique. Un renversement que l’on propose de concevoir en deux sens, suivant les mots allemands qui en expriment la signification. En tant que Umkehrung, mot qui indique, tout comme le verbe umkehren, le fait de renverser et bouleverser mais aussi d’invertir. Il s’agit d’un renversement que l’on peut nommer thématique, dans la mesure où il est une inversion de l’ordre des termes du raisonnement pour formuler des questions déjà posées, tout en les renouvelant. Cependant, le renversement peut être conçu aussi comme Umschlag, mot qui fait allusion, comme dans l’enveloppe, à un accomplissement qui est un envelopper et protéger, mais aussi un « se renverser » (tout comme l’enveloppe a à se renverser pour accueillir et protéger son contenu). Dans la figure de l’Umschlag les deux sens du mot allemand se rejoignent, indiquant aussi bien le renversement que l’enveloppe, l’étui. Un renversement qui, certes, est thématique, mais aussi philosophique, par lequel – grâce à l’inversion thématique – on cherche à atteindre un envers jusqu’à ce moment invu, un en-soi que la philosophie, par ses catégories et ses horizons, n’avait pas encore aperçu. Dès lors, il y a un renversement de la philosophie en tant qu’« avènement » de celle-ci par le questionnement de ses sujets et problèmes et de ses propres questions. Il faut encore comprendre le renversement en tant que « garde » de questions qui, par leur même questionnement et par le fait même de se questionner, demeurent toujours et à nouveau possibles, donc livrées et, en même temps, gardées et protégées. Dans les Inédits d’Emmanuel Levinas, dans la genèse de cette pensée, il sera possible de vérifier ces deux sens du renversement, en cherchant à apercevoir ce qu’il en est du renversement thématique (et du point de vue philosophique différent qu’il inaugure), donc du renversement ou inversion de la méthode philosophique, et ce qu’il en est de l’envers atteint par cette inversion (et donc « vers où » perce ce renversement de la philosophie). Envers en tant qu’en-soi invu et insaisissable autrement que par le renversement – thématique et philosophique dans le sens plus strict du terme – que lui-même provoque. Il ne s’agit donc pas d’un envers qui serait un en-soi atteint et saisi, mais d’un envers qui se donne à atteindre et à saisir par une réversibilité intrinsèque qu’il reste à définir.
2012
Presses Universitaires de Caen
Internazionale
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