Depuis sa fondation en 1540, la Compagnie de Jésus a marqué de son empreinte non seulement l’histoire des religions et celle des Églises chrétiennes, mais aussi les arts, la philosophie, les sciences, la pédagogie, les sociétés et la culture politique, et ceci, par la multiplicité de ses foyers et de ses modes d'implantation en Europe et dans le monde dès la fin du XVIe siècle. Supprimé au siècle des Lumières, l’ordre est rétabli en 1814 pour devenir, de nouveau, un facteur aussi important que controversé dans les processus de transition entre les sociétés d’ancien régime et les États-nations en construction, avec leurs empires coloniaux, dans un long XIXe siècle et jusque dans les processus d'indépendance nationale du XXe siècle et la crise de la "vision du monde" missionnaire après 1945. Plusieurs siècles objet polémique et apologétique permanent, l'histoire de la Compagnie de Jésus est sortie, dans ces vingt dernières années, de son enclos religieux et confessionnel. Des historiens d’horizons différents et animés par des intérêts très divers ont recouru aux sources extrêmement riches produites par cette puissante organisation, et ont retrouvé des membres de la Compagnie de Jésus dans des contextes où ils ne les attendaient pas, comme par exemple dans la mouvance de la culture encyclopédique au XVIIIe siècle. Ainsi, là où l’on ne connaissait que des missionnaires catholiques ultraromains ou des ennemis de l'Eglise masqués, identifie-t-on aujourd’hui des médiateurs culturels souvent audacieux, promoteurs d’un christianisme transculturel ; là où l’on dénonçait les interférences politiques illicites de confesseurs bien placés chez les Princes, on découvre maintenant des agents politiques finalement légitimes dans la culture de la première modernité, marquée par des logiques sociales différentes, de l'éthique du patronage aux réseaux clientélaires et familiaux. Le renouveau historiographique amorcé par le cultural turn a fortement contribué à cette redécouverte politique, sociale et culturelle des jésuites. Cette ouverture générale a induit un essor considérable des études jésuites dans le monde. Cet essor s'est manifesté par l’apparition d’institutions scientifiques spécifiquement consacrées à l’étude de la Compagnie de Jésus, dans un espace multipolaire : soit pour ce qui concerne les institutions directement ou indirectement liées à la Compagnie de Jésus, comme l’Institute for Advanced Jesuit Studies du Boston College et la nouvelle revue et les collections d'ouvrages - les Journal of Jesuit Studies et les Jésuit studies - qu'il a promus; ou en Europe, le KADOK de l'Université de Leuven ; soit pour ce qui concerne une nouvelle institution indépendante, ancrée en Europe, mais très largement ouverte sur la recherche mondiale : la Société internationale d'études jésuites, fondée en 2015 par un groupe de spécialistes dont Pierre Antoine Fabre, Jose Eduardo Franco, Sabina Pavone et Christine Vogel. Ce groupe a noué de solides habitudes de travail partagé, qu'il souhaite engager dans la présente proposition. Parmi les approches les plus novatrices mises en œuvre dans le sillage du cultural turn, l’histoire culturelle et socio-culturelle du politique (« Kulturgeschichte des Politischen ») et l’histoire globale (« entangled/ connected history ») jouent un rôle primordial. La première a remis le focus des historiens sur les individus et leurs réseaux familiaux, sociaux, "amicaux", sur les ordres symboliques et les pratiques politiques et sociales ; alors que la deuxième nous a mis en garde contre la vision eurocentrique de l’histoire, en accentuant les phénomènes d’imbrication culturelle et sociale, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif, et en mettant en avant les processus multilatéraux d’échange et de communication. Dans ces deux domaines, les jésuites apparaissent très fréquemment au devant de la scène. Nous nous trouvons donc actuellement face à un double processus de convergence : d’une part, le renouveau historiographique des vingt dernières années a profondément bouleversé et amplifié les études jésuites ; et de l’autre, les différentes approches nouvelles pratiquées par les historiens attachés aux spécialites et aux espaces les plus divers, font redécouvrir les jésuites en tant qu’acteurs politico-religieux et d’intermédiaires culturels à l’échelle globale. Enfin, sur le plan méthodologique, la richesse des sources liées aux activités diverses de la Compagnie de Jésus, constitue une mine extrêmement riche pour tous les historiens, et dont l’exploitation par les nouvelles technologies liées aux Digital humanities peut servir de laboratoire bien au-delà de la seule histoire de la Compagnie de Jésus comme institution religieuse. Le projet proposé ici a pour but d’évaluer le premier bilan, l'actualité et la portée de ces convergences et d’en tirer les conséquences pour l’avenir des études jésuites. Il s’agit d’une part de mesurer la contribution des études jésuites à ces nouvelles ap-proches ; et d'autre part de discuter des orientations futures de la recherche histori-que sur la Compagnie de Jésus, face au défi posé par les nouvelles approches à la pertinence même de l'échelle d'observation jésuite. Dans un troisième temps, dans une perspective méthodologique, nous nous proposons également d’évaluer le po-tentiel synergétique des nombreux projets de numérisation et de publication en li-gne, en cours ou à naître, et de préciser ainsi pour l'avenir les possibilités novatrices des études jésuites dans le cadre des Digital humanities.

Trilaterale Forschungskonferenzen / Ateliers trilatéraux / Conferenze Trilaterali - Deutsche Forschungsgemeinschaft/ Fondation Maison des Sciences de l'Homme/ Villa Vigoni Gli studi gesuitici di fronte alle nuove frontiere della storiografia : storia globale e connessa, storia socio-culturale del politico, Digital humanities.

PAVONE, SABINA
2017-01-01

Abstract

Depuis sa fondation en 1540, la Compagnie de Jésus a marqué de son empreinte non seulement l’histoire des religions et celle des Églises chrétiennes, mais aussi les arts, la philosophie, les sciences, la pédagogie, les sociétés et la culture politique, et ceci, par la multiplicité de ses foyers et de ses modes d'implantation en Europe et dans le monde dès la fin du XVIe siècle. Supprimé au siècle des Lumières, l’ordre est rétabli en 1814 pour devenir, de nouveau, un facteur aussi important que controversé dans les processus de transition entre les sociétés d’ancien régime et les États-nations en construction, avec leurs empires coloniaux, dans un long XIXe siècle et jusque dans les processus d'indépendance nationale du XXe siècle et la crise de la "vision du monde" missionnaire après 1945. Plusieurs siècles objet polémique et apologétique permanent, l'histoire de la Compagnie de Jésus est sortie, dans ces vingt dernières années, de son enclos religieux et confessionnel. Des historiens d’horizons différents et animés par des intérêts très divers ont recouru aux sources extrêmement riches produites par cette puissante organisation, et ont retrouvé des membres de la Compagnie de Jésus dans des contextes où ils ne les attendaient pas, comme par exemple dans la mouvance de la culture encyclopédique au XVIIIe siècle. Ainsi, là où l’on ne connaissait que des missionnaires catholiques ultraromains ou des ennemis de l'Eglise masqués, identifie-t-on aujourd’hui des médiateurs culturels souvent audacieux, promoteurs d’un christianisme transculturel ; là où l’on dénonçait les interférences politiques illicites de confesseurs bien placés chez les Princes, on découvre maintenant des agents politiques finalement légitimes dans la culture de la première modernité, marquée par des logiques sociales différentes, de l'éthique du patronage aux réseaux clientélaires et familiaux. Le renouveau historiographique amorcé par le cultural turn a fortement contribué à cette redécouverte politique, sociale et culturelle des jésuites. Cette ouverture générale a induit un essor considérable des études jésuites dans le monde. Cet essor s'est manifesté par l’apparition d’institutions scientifiques spécifiquement consacrées à l’étude de la Compagnie de Jésus, dans un espace multipolaire : soit pour ce qui concerne les institutions directement ou indirectement liées à la Compagnie de Jésus, comme l’Institute for Advanced Jesuit Studies du Boston College et la nouvelle revue et les collections d'ouvrages - les Journal of Jesuit Studies et les Jésuit studies - qu'il a promus; ou en Europe, le KADOK de l'Université de Leuven ; soit pour ce qui concerne une nouvelle institution indépendante, ancrée en Europe, mais très largement ouverte sur la recherche mondiale : la Société internationale d'études jésuites, fondée en 2015 par un groupe de spécialistes dont Pierre Antoine Fabre, Jose Eduardo Franco, Sabina Pavone et Christine Vogel. Ce groupe a noué de solides habitudes de travail partagé, qu'il souhaite engager dans la présente proposition. Parmi les approches les plus novatrices mises en œuvre dans le sillage du cultural turn, l’histoire culturelle et socio-culturelle du politique (« Kulturgeschichte des Politischen ») et l’histoire globale (« entangled/ connected history ») jouent un rôle primordial. La première a remis le focus des historiens sur les individus et leurs réseaux familiaux, sociaux, "amicaux", sur les ordres symboliques et les pratiques politiques et sociales ; alors que la deuxième nous a mis en garde contre la vision eurocentrique de l’histoire, en accentuant les phénomènes d’imbrication culturelle et sociale, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif, et en mettant en avant les processus multilatéraux d’échange et de communication. Dans ces deux domaines, les jésuites apparaissent très fréquemment au devant de la scène. Nous nous trouvons donc actuellement face à un double processus de convergence : d’une part, le renouveau historiographique des vingt dernières années a profondément bouleversé et amplifié les études jésuites ; et de l’autre, les différentes approches nouvelles pratiquées par les historiens attachés aux spécialites et aux espaces les plus divers, font redécouvrir les jésuites en tant qu’acteurs politico-religieux et d’intermédiaires culturels à l’échelle globale. Enfin, sur le plan méthodologique, la richesse des sources liées aux activités diverses de la Compagnie de Jésus, constitue une mine extrêmement riche pour tous les historiens, et dont l’exploitation par les nouvelles technologies liées aux Digital humanities peut servir de laboratoire bien au-delà de la seule histoire de la Compagnie de Jésus comme institution religieuse. Le projet proposé ici a pour but d’évaluer le premier bilan, l'actualité et la portée de ces convergences et d’en tirer les conséquences pour l’avenir des études jésuites. Il s’agit d’une part de mesurer la contribution des études jésuites à ces nouvelles ap-proches ; et d'autre part de discuter des orientations futures de la recherche histori-que sur la Compagnie de Jésus, face au défi posé par les nouvelles approches à la pertinence même de l'échelle d'observation jésuite. Dans un troisième temps, dans une perspective méthodologique, nous nous proposons également d’évaluer le po-tentiel synergétique des nombreux projets de numérisation et de publication en li-gne, en cours ou à naître, et de préciser ainsi pour l'avenir les possibilités novatrices des études jésuites dans le cadre des Digital humanities.
2017
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