Dire que la phénoménologique de Michel Henry est une phénoménologie du pâtir et de l’immanence n’ajoute rien de nouveau à la pensée de ce philosophe, étant les deux termes par lesquels elle a été maintes fois définie. Cependant, tout en empruntant une expression de Blaise Pascal, dans l’esprit du (re)lire qui caractérise ce colloque, je voudrais chercher des « abîmes nouveaux », ou bien, des abîmes creusés par l’union même des deux termes. Or, cette union n’a rien d’accidentel, s’agissant au contraire d’un oxymoron dont nous essayerons de sonder la capacité heuristique. Un oxymoron, c’est-à-dire la complexion d’une polarité d’opposées dont l’irréductibilité antinomique se dissout en une unité plus haute. Dans ce cadre, notre visée spécifique – peut-être ambitieuse – sera que, tout comme le sublime, au XVIII siècle est devenu, de figure rhétorique qu’il était, un sentiment philosophique, de même l’oxymoron – d’après Henry – sort du domaine linguistique-rhétorique se faisant une façon propre et essentielle du philosopher. Cette relecture de l’œuvre de Michel Henry part du défi ou mieux, de la tentative de la comprendre mieux répondant à certains critiques que j’avais formulé avant. Ce que je demandais, c’étais si cette pensée si fascinante et radicale, était vraiment capable de prendre à sa charge le concret, par exemple le concret du corps, trop radicalement opposé à la chair ; et je demandais aussi si, opposant entre eux monde et Vie, cette pensée ne perdais pas de vue ce monde où chaque vie vit, n’aboutissant qu’à une vague indistinction. Dès lors, à cette opposition foncière entre vie et monde, l’on objectait que la vie se vit dans le monde. C’est en ce sens que Renaud Barbaras a défini la vie pensée par Henry comme une vie qui n’est que métaphorique et non concrète ou réelle. Le hiatus et la différence de la manifestation entre Vie et monde fait que ces questions restent encore légitimes, peut-être, mais mon avis est qu’elles ne le restent que si l’on procède vers le monde, vers le corps, vers le concret. Mais qu’est-ce qu’en est-il en avant, voire en deçà de la question ? Henry remarque, certes, que l’immanence de la vie ne se phénoménalise pas par le monde, mais il le fait à partir d’une exigence qu’on ne peut que partager : penser la manifestation de la vie à partir d’elle-même afin de récuser sa réduction aux données biologiques qui prétend l’objectiver. C’est de là que je voudrais maintenant repartir, relisant la pensée henryenne comme pensée d’un oxymoron où s’enracine une sorte de « en deçà de la différence » ; « en deçà » qui fait que toute révélation s’auto-éprouve, demeure dans le « pâtir l’immanence » et « pâtir l’immanence » est un oxymoron.

Pâtir l’immanence, puissances d’un oxymoron

CANULLO, Carla
2013-01-01

Abstract

Dire que la phénoménologique de Michel Henry est une phénoménologie du pâtir et de l’immanence n’ajoute rien de nouveau à la pensée de ce philosophe, étant les deux termes par lesquels elle a été maintes fois définie. Cependant, tout en empruntant une expression de Blaise Pascal, dans l’esprit du (re)lire qui caractérise ce colloque, je voudrais chercher des « abîmes nouveaux », ou bien, des abîmes creusés par l’union même des deux termes. Or, cette union n’a rien d’accidentel, s’agissant au contraire d’un oxymoron dont nous essayerons de sonder la capacité heuristique. Un oxymoron, c’est-à-dire la complexion d’une polarité d’opposées dont l’irréductibilité antinomique se dissout en une unité plus haute. Dans ce cadre, notre visée spécifique – peut-être ambitieuse – sera que, tout comme le sublime, au XVIII siècle est devenu, de figure rhétorique qu’il était, un sentiment philosophique, de même l’oxymoron – d’après Henry – sort du domaine linguistique-rhétorique se faisant une façon propre et essentielle du philosopher. Cette relecture de l’œuvre de Michel Henry part du défi ou mieux, de la tentative de la comprendre mieux répondant à certains critiques que j’avais formulé avant. Ce que je demandais, c’étais si cette pensée si fascinante et radicale, était vraiment capable de prendre à sa charge le concret, par exemple le concret du corps, trop radicalement opposé à la chair ; et je demandais aussi si, opposant entre eux monde et Vie, cette pensée ne perdais pas de vue ce monde où chaque vie vit, n’aboutissant qu’à une vague indistinction. Dès lors, à cette opposition foncière entre vie et monde, l’on objectait que la vie se vit dans le monde. C’est en ce sens que Renaud Barbaras a défini la vie pensée par Henry comme une vie qui n’est que métaphorique et non concrète ou réelle. Le hiatus et la différence de la manifestation entre Vie et monde fait que ces questions restent encore légitimes, peut-être, mais mon avis est qu’elles ne le restent que si l’on procède vers le monde, vers le corps, vers le concret. Mais qu’est-ce qu’en est-il en avant, voire en deçà de la question ? Henry remarque, certes, que l’immanence de la vie ne se phénoménalise pas par le monde, mais il le fait à partir d’une exigence qu’on ne peut que partager : penser la manifestation de la vie à partir d’elle-même afin de récuser sa réduction aux données biologiques qui prétend l’objectiver. C’est de là que je voudrais maintenant repartir, relisant la pensée henryenne comme pensée d’un oxymoron où s’enracine une sorte de « en deçà de la différence » ; « en deçà » qui fait que toute révélation s’auto-éprouve, demeure dans le « pâtir l’immanence » et « pâtir l’immanence » est un oxymoron.
2013
9782875581204
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